Le Cévenol est de ces itinéraires de randonnée qui semblent vouloir rester secrets, vivant dans l’ombre des grandes « stars » de l’itinérance où s’entasse l’essentiel des marcheurs. C’est pourtant l’un des plus beaux voyages à pied au cœur des Cévennes d’Ardèche qu’il m’ait été donné d’effectuer. Une aventure formidable à travers des vallées sauvages et confidentielles, par des chemins alternatifs qui exhalent une histoire humaine encore très forte. J’ai parcouru ce Cévenol de gare à gare pour en éprouver les promesses. J’en reviens convaincu d’avoir marché sur un itinéraire qui a tout pour devenir un favori dans les rangs des randonneurs les plus exigeants.

GR® de Pays : Le Cévenol
David Genestal

Partage d'expérience

David Genestal, auteur du blog Carnets de Rando, partage les récits de ses randonnées à travers la France. En septembre 2024, il s’est rendu en Cévennes d’Ardèche pour partir à l’aventure du GR® de Pays Le Cévenol, en voici son retour d’expérience.

JOUR 1 : LA BASTIDE PUYLAURENT – MONTSELGUES

Difficulté : difficile | Distance : 25,5 km | Durée : 8h30 | Dénivelé : +1035m/-1040m

Au carrefour de grands itinéraires de randonnées comme le Chemin de Stevenson ou La Régordane, La Bastide-Puylaurent m’accueille au saut du train venant d’Alès. Présence plus discrète que ses illustres cousins, le Cévenol y prend son départ sur la pointe des pieds en direction du sanctuaire trappiste de Notre-Dame-des-Neiges avant de basculer vers Saint-Laurent-les-Bains et sa fameuse tour. Au-delà de ces terres dédiées au thermalisme – l’eau ici se classe à la 9ème place des plus chaudes de France – l’itinéraire s’ensauvage réellement. Je fais mon entrée dans un univers de bruyères et de schiste, parcouru de rivières fougueuses que viennent enjamber des ponts isolés : le vallon de la Borne est une merveille qui donne le ton des premières étapes du Cévenol.

Je suis frappé par l’immédiate sensation d’isolement renvoyée par le paysage ; comme si, d’un claquement de doigts, on avait tourné le dos au monde « habité ». Il y a bien quelques bourgs rencontrés en chemin ou aperçus au loin, à l’image, un peu plus loin, de Laval-d’Aurelle. Les qualifier de « village » reviendrait cependant à proclamer La Bastide-Puylaurent de mégalopole !

C’est l’âme même des Cévennes d’antan qui perdure dans ces hameaux de schiste aux allures de bout du monde.

Le Cévenol les relie comme des perles sur un collier en suivant à la trace d’anciens chemins caladés et bordés de murets de pierre que j’imagine activement empruntés au siècle dernier. L’itinéraire me donne l’impression de voyager dans une Ardèche oubliée et authentique. Un privilège à mes yeux, que la solitude rend plus précieux encore. La sortie des gorges d’Ourlette, inattendu défilé rocheux au débouché du groupe de maisons éponyme, convoque un nouvel effort d’ascension parmi des versants de résineux rosissant sous l’effet de la bruyère. Avec l’altitude, le paysage change peu à peu tandis que l’air se rafraîchit. Passé Chalendas et Pradon, Le Cévenol fait son entrée sur les hauteurs sobres et nues d’un plateau d’altitude pour les derniers kilomètres de sa première étape.

David Genestal

Ici, à plus de mille mètres d’altitude, une forme de rigueur s’exprime naturellement. Une sorte de toit du monde posé sur un royaume de crêtes et de vallées profondes, où plane l’ombre du vautour fauve.

Des conditions qui n’ont pas découragé les hommes de s’y installer comme le démontre le village de Montselgues, presque une capitale ici et, en tout cas, un bel exemple de dynamisme communal comme ne le suggèrent ni sa taille – modeste – ni son emplacement.

Je le saisis en poussant la porte du gîte de La Fage qui, en plus d’être un hébergement, endosse le rôle de pôle d’activités de pleine nature. Nul autre endroit que ce lieu vivant et animé par une équipe engagée ne saurait convenir davantage pour faire étape dans ces hauteurs d’Ardèche à la fois rudes et superbes.

JOUR 2 : MONTSELGUES + SAINT-JEAN-DE-POURCHARESSE

Difficulté : assez difficile | Distance : 20 km | Durée : 6h35 | Dénivelé : +530m/-1120m

Cette deuxième étape quitte les étages supérieurs des Cévennes d’Ardèche pour s’en aller chercher, plus bas, le chemin de Thines et de sa vallée. Fougères et feuillus se réapproprient des versants que l’altitude avaient contraint à l’abandon.

Le Cévenol s’engage toujours par ce réseau d’anciens chemins que son passage semble ressusciter, côtoyant ici des ruines et là des hameaux sublimés par la restauration. C’est le cas de Thines, temps fort inattendu de la journée et miracle paysager découvert perché sur son rocher, à 589m d’altitude. Le village, à son apogée, jouit d’un âge d’or du temps de la paysannerie du 19ème siècle.

David Genestal

La suite a malheureusement le goût amer des lendemains qui déchantent : surpopulation, épuisement des terres et maladies végétales ont raison de l’orgueil des hommes. C’est le temps de l’exil. Thines sombre lentement dans le silence de l’oubli jusqu’à l’après-guerre et l’arrivée de Marcel Bacconier venu sculpter le Monument à la Résistance commémorant la tragédie du 4 août 1943. Son lien avec le village est spécial et le pousse, aux côtés de son frère, de leurs épouses et de Lucienne Alibert, à fonder l’Association des Amis de Thines en 1948, toujours active aujourd’hui avec pas loin de 80 adhérents. L’amour de ces bénévoles pour le village suspend sa condamnation. Thines s’offre une nouvelle jeunesse et affiche de nouvelles ambitions en encourageant et promouvant le savoir-faire local ainsi que la création d’emplois sur le rocher. C’est le temps du renouveau.

Thines resplendit comme un Macchu Picchu ardéchois que l’attachement des hommes aux vieilles pierres a sauvé du naufrage.

Juché sur les hauteurs du Ranc de Rode qu’a maintenant rejoint Le Cévenol, je contemple une dernière fois ce petit îlot de vie figé dans les bras d’une Nature immense. À l’instar de l’étape d’hier, le sentiment exaltant de l’isolement est encore aujourd’hui très fort.

Moins marquée par le sceau de la roche que la précédente, la vallée du Suret n’en déploie pas moins un éventail de caractéristiques qui, à mes yeux, forgent peu à peu l’identité du « Cévenol » : la bruyère, omniprésente ; l’eau, mariée au rocher, coulant dans le moindre thalweg ; un sentier monotrace suspendu en balcon; les troncs fantasques de châtaigniers sur le bord des chemins. Et puis, soudain, l’élégante toiture en lauze de l’église romane de Saint-Jean-de-Pourcharesse. Une œuvre d’art que j’admire depuis le rebord du rempart de la route que suit Le Cévenol avant d’aller chercher plus bas le Pont des Planches dans une foison de châtaigniers.

Un dernier effort me conduit aux gîte rural des Alrassets chez Cécile et Alain, castanéiculteurs en activité sur l’exploitation aux allures de petit paradis qui entoure les murs de pierre de la maison de caractère de 1770 qu’ils ont reconverti en lieu d’hébergement pour les visiteurs. De quoi reprendre les forces nécessaires pour ma prochaine étape.

JOUR 3 : SAINT-JEAN-DE-POURCHARESSE – LES VANS

Difficulté : moyen | Distance : 15,5 km | Durée : 4h50 | Dénivelé : +325m/-585m

Ce troisième jour pose les fondations d’un nouvel univers paysager, plus méditerranéen et également plus habité. Par petites touches discrètes, une tonalité provençale s’installe dans le sous-bois. Le pin d’Alep succède aux châtaigniers, encerclé par des armées de fougères. Une chaleur plus marquée prend ses quartiers sous des bosquets d’arbousiers, chauffant les pierres disjointes des murets qui bordent encore souvent le chemin.

Brès, bourgade modeste mais attachante, dédiée à la gloire du grès rose, est atteint. J’y croise un habitant qui me partage des souvenirs d’enfance à la Pagnol, évoquant la charrue que son grand-père tirait pas loin d’ici, la vigne aujourd’hui remplacée par les oliviers, les faïsses qui aménageaient les alentours.

Je rejoins ensuite Champmajour où un banc et un peu d’ombre suffisent à ma pause. Les maisons, moins roses qu’à Brès, ne manquent cependant pas de ce charme naturel conféré par la pierre aux constructions anciennes. De derniers et brefs segments de pleine nature me séparent maintenant des Vans. L’empreinte humaine dans le paysage a repris de l’ampleur lorsque je rejoins finalement les rives du Chassezac au-dessus duquel j’aperçois les toits vernissés des tours du château de Chambonas, bel édifice construit par la famille De Lagarde au 13ème siècle. C’est depuis le magnifique pont médiéval, jeté en travers de la rivière à la sortie du village, qu’on profite le mieux du spectacle offert par le long escalier des cinq terrasses de son jardin à la française.

Je fais ensuite mon entrée dans l’agglomération des Vans, déployée en pente douce jusqu’à son centre plus ancien. À l’instar de La Bastide-Puylaurent, Les Vans constituent une étape logique et incontournable sur Le Cévenol. Profiter d’un Vals-menthe en terrasse en assistant au ballet des passants et des voitures autour de la place Léopold Ollier le père de la chirurgie orthopédique moderne qui est né aux Vans en 1830 et auquel la ville a consacré un musée – est presque un passage obligé.

David Genestal

Après ces premières étapes dans la solitude des hautes vallées, l’atterrissage aux Vans, à la confluence des Cévennes et de l’Ardèche Méridionale, peut sembler brutal. Je m’échappe donc dans les agréables rues et ruelles du centre historique où le visage contemporain de la commune côtoie l’ancien dans un mariage des genres réussi.

Je reconnais dans Les Vans le visage un peu bohème et coloré de l’Ardèche, son goût pour l’artisanat populaire et les fêtes improvisées, pour la bonne cuisine et la camaraderie. Je pousse jusqu’à la rue du Cancel, à mes yeux la plus belle des Vans avec sa rue pavée, ses petits commerces fleuris alignant des terrasses où on siroterait bien un verre de Viognier. Je fais le tour derrière l’église Saint-Pierre-aux-Liens, cherchant de bonnes excuses pour rester encore un peu avant de finalement remonter par la rue de la Calade à la sortie de laquelle je me heurte quasiment au temple protestant du Rousselet, rappel d’une histoire protestante encore d’actualité de la commune.

Un autre visage de l’Ardèche, celui d’une terre de résistance et de liberté.

L’hôtel Le Vanséen est juste à deux pas, un agréable 3 étoiles tenu par un duo tout en sourire et en plaisir d’accueillir. L’établissement, qu’ils ont fraîchement repris depuis moins d’une paire d’années, a été joliment adapté aux goûts et couleurs de ses nouveaux propriétaires. Il n’en fallait pas davantage pour savourer la fin de cette troisième étape aux Vans.

JOUR 4 : LES VANS – MALBOSC

Difficulté : moyen | Distance : 18 km | Durée : 6h10 | Dénivelé : +850m/-490m

Les odeurs de café et de croissants chauds s’estompent rapidement en quittant Les Vans par le chemin du Vieux Naves, ancienne voie nostalgique qui dirige Le Cévenol vers le Serre de Barre en toile de fond.

Naves, c’est un coup de foudre immédiat. Atteint par une calade antique et magnifique, le petit village est un concentré de patrimoine médiéval renversant. Impossible de ne pas tomber sous le charme de ses rues étroites et pavées, de ses porches en pierre et de ses façades grignotées par le lierre.

À la croisée des schistes cévenols et des calcaires du sud-est, Naves séduira également les géologues en herbe, ravivant cet âge lointain où la région baignait dans les eaux chaudes d’un océan. Le Cévenol emprunte d’ailleurs partie des 4 kilomètres du Géosentier spécialement créé pour rendre hommage aux 18 millions d’année d’histoire révélés par ce décor magistral. La journée démarre bien.

David Genestal

À l’approche de l’impressionnante bâtisse des Alauzas, la châtaigneraie reprend provisoirement ses droits avant de s’évanouir derrière un raz-de-marée de résineux annonçant Brahic. C’est un modeste bloc de maisons en schiste déposé à l’ombre d’une église romane du 12ème siècle. Elle arbore un beau clocher-peigne à quatre arches qui sonne midi à mon passage. J’y croise une bande d’amis qui a privatisé la rue à l’occasion d’un barbecue improvisé.

C’est le visage de l’Ardèche généreuse célébrant la bonne chère et le vivre ensemble.

Je trinque avec eux aux rencontres heureuses et aux plaisirs simples de la vie. La suite de l’étape installe un décor durable de hauts pins maritimes poussant dans une futaie qu’un tapis d’aiguilles abandonnées colore d’une teinte orangée. J’y retrouve la solitude propre au Cévenol tandis que l’itinéraire ondule entre fougères et bruyères, en épousant brièvement le cours peu profond du ruisseau de Planzolle.

Le dénivelé guette un peu plus tard, réveillant brusquement mes mollets le temps d’une montée vers Sabuscles, une autre de ces colonies ardéchoises bâties dans le schiste et installée à l’étroit sur une hauteur rasée de frais pour l’occasion. Ce même schiste que je retrouve, plus bas, en franchissant le pont qui enjambe l’Abeau. Le Cévenol abonde en cours d’eau frais incitant à la pause quand ce n’est pas à la baignade.

L’échancrure de l’Abeau, ouverte en travers de l’itinéraire, a refait perdre les quelques mètres de dénivelé durement acquis en montant à Sabuscles. Il faut donc en avoir gardé un peu sous la semelle pour se hisser, par la forêt, en direction de Malbosc. C’est le dernier effort de la journée.

Parvenu au village, je ne résiste pas à crocheter par la table d’orientation signalée par un panneau. Et ce n’est pas une mais trois tables de lecture que je découvre qui donnent les clés d’identification de ces sommets lointains – on peut apercevoir les Écrins, le Vercors et le Dévoluy – susceptibles de se dévoiler en fonction de la clarté, de l’heure et de la météo du moment. L’ombre s’étend déjà sur les toits du village lorsque je tourne le dos à cet horizon panoramique.

Il me reste encore deux petits kilomètres pour rejoindre l’Aube des Fourniels, où Catherine et son époux ont ouvert une chambre d’hôte à usage des marcheurs et visiteurs à la nuitée. La demeure, spacieuse et ancienne, à l’écart dans un hameau plus isolé encore que ne l’est déjà Malbosc, m’apparait comme une bulle de tranquillité dont je savoure le confort et le charme à l’aune d’une nouvelle journée encore bien remplie.

JOUR 5 : MALBOSC – GENOLHAC

Difficulté : difficile | Distance : 21,5 km | Durée : 7h | Dénivelé : +810m/-850m

Spectacle exceptionnel dès l’aube avec un lever de soleil sur l’horizon dégagé de l’Ardèche méridionale. Quelques secondes suspendues avant que le jour soit à nouveau là.

Je boucle mon sac à dos et rejoint Malbosc par le chemin de la veille. Je prends ensuite la direction d’Escoussous par des chemins forestiers jusqu’à l’une de ces « ruines » magiques, empruntées par Le Cévenol et dont les Cévennes ont le secret. Ici un escalier intact et encadré de murets de pierre moussus qui, en zigzags, escalade les derniers mètres de pente menant aux venelles étroites d’Escoussous. Toujours aussi immersif.

Je passe plus loin la frontière du Gard où l’itinéraire poursuit sa route, pénétrant le jardin « prisé » de Michel Pena, baptisé ici Pré aux Sources. Un tremplin vers les crêtes sommitales et panoramiques de la Loubière où j’ai rendez-vous avec la planète Cévennes. Bonnevaux s’y dévoile, autre chef-d’oeuvre façonné au schiste, ainsi qu’un horizon de reliefs descendus du lointain Mont Lozère. Le Cévenol continue ici de m’en mettre plein la vue avant de m’expédier vers Aujac.

En chemin je croise quelques ruches-troncs. Une tradition 100% cévenole où l’abeille noire des Cévennes trouve refuge. Elle incarne une apiculture ancestrale que le Parc National des Cévennes et une poignée d’artisans du miel aimeraient remettre au goût du jour.

Plus bas encore apparaît le château du Cheylard, l’un des mieux conservés de la vallée, qui veille sur l’ancienne Cizarencha, cet axe stratégique qui reliait Alès à Langogne au 13ème siècle. Entre Aujac et Charnavas, le franchissement de la Cèze, bordée de plages de galets et de rochers, m’offre une parenthèse appréciée entre deux tranches de goudron retrouvé.

À quelques kilomètres de la fin, le Cévenol fait des concessions plus fréquentes à la route tandis qu’il chemine vers Génolhac. J’atteins le gros bourg cévenol par le col de Canterperdrix, au pas de course et un oeil sur la montre pour m’assurer de ne pas manquer mon train retour vers Alès.

À Génolhac, l’ancien, le médiéval et l’industriel cohabitent pacifiquement, loin des Guerres de Religion, de Cent Ans et des Camisards qui ont marqué son histoire au fil des siècles. Sa desserte ferroviaire lui assure aujourd’hui d’être l’une des portes d’entrée reconnues vers le Parc National des Cévennes qui y a installé son Centre de Documentation et d’Archives. Une aubaine pour les randonneurs qui, comme moi, peuvent ainsi, très facilement, rallier ou quitter la plupart des grands itinéraires pédestres qui sillonnent cette partie de l’Occitanie. Un atout dans la manche précieux à l’heure de l’urgence à se tourner vers les mobilités douces.

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Célia

À propos de Célia

Originaire de Gravières, j’ai grandi au pied du Serre-de-Barre, considérant le Nassier, la Pontière ou le Pont de Gravières presque comme une extension naturelle de mon jardin !

Depuis début 2025, j’ai rejoint l’Office de Tourisme avec une mission évidente : explorer les villages, les paysages, la faune et la flore… mais surtout partir à la rencontre de celles et ceux qui donnent vie à notre territoire – habitants, artisans, producteurs passionnés. Entre dégustations gourmandes, chemins parfois inattendus et découvertes insolites, mon objectif est de mettre en lumière toute la richesse de notre belle région.

À travers mes aventures et mes récits – parfois épiques, toujours passionnés –, j’espère transmettre mon amour pour les Cévennes d’Ardèche, donner envie de les explorer autrement…

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